Notre invité, Olivier de Baillenx

Publié le 12 avril 2023
Notre invité, Olivier de Baillenx

Durable, responsable et inclusif : l’Internet de demain est en marche !

Dans leur dernière étude, qu’elles viennent de remettre au gouvernement, l’Arcep et l’Ademe tirent la sonnette d’alarme : si rien n’est fait, l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler, d’ici à 20501. Un sujet pris au sérieux, d’ores et déjà, par un nombre croissant d’acteurs, à l’origine d’initiatives innovantes pour rendre l’Internet plus responsable. Éditeur de la collection « Histoires numériques », notre invité, Olivier de Baillenx, dresse un état des lieux.

La sobriété numérique est-elle en passe de devenir l’un des grands enjeux des télécoms ?

Une chose est sûre : il y a une vraie prise de conscience autour de ce sujet. En 2008, plus de la moitié des Français considéraient le numérique comme une technologie vertueuse pour le développement durable. 11 ans plus tard, ils ne sont plus que 38 % à le penser2. On observe donc un vrai changement de perception, tandis que les émissions de carbone produites par Internet sont régulièrement pointées du doigt. 

Selon les sources, le numérique représente, aujourd’hui, entre 3 et 4 % de la production mondiale de gaz à effet de serre***, et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale4. Un poids dont le dernier rapport de l’Arcep pointe d’ailleurs la progression, avec une augmentation estimée à près de 50 % pour la période 2020-20301

Autre signe de cette prise de conscience : l’accélération en matière réglementaire. En l’espace d’un an et demi, deux lois ont été votées dans ce domaine. La loi AGEC* de 2020 édicte des obligations en termes de transparence et de recyclabilité des terminaux. Celle du 15 novembre 2021 est, quant à elle, entièrement dédiée à la Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique**. Elle introduit des mesures de soutien à l’écoconception, au reconditionnement, ainsi qu’à la récupération du matériel dormant. Elle met également en place l’IFCE, une taxe dégressive sur les consommations d’énergie, et impose aux collectivités territoriales la mise en œuvre d’une stratégie numérique responsable, d’ici à 2025. 

Quant à l’Arcep, ses missions s’élargissent pour mesurer l’empreinte environnementale du numérique, via un observatoire spécifique, et élaborer des propositions d’actions. En 2023, l’Autorité étend sa collecte de données aux fabricants de terminaux et aux opérateurs de datacenters et met donc en place de nouveaux indicateurs. 

Quels sont les principaux leviers à la disposition des acteurs pour réduire l’impact environnemental du numérique ?  

Les possibilités d’action varient en fonction des sources d’émissions. En la matière, ce sont les terminaux qui occupent la 1ère position, qu’il s’agisse des téléphones, tablettes, box ou ordinateurs. Ils représentent entre 75 et 92 % de l’empreinte carbone du numérique – des chiffres qui diffèrent d’une étude à l’autre, en l’absence d’indicateurs communément partagés. Ce poids est dû, essentiellement, aux métaux rares qui entrent dans leur fabrication. Viennent ensuite les datacenters (4 à 22 %) et, enfin, les réseaux (4 à 13 %)3

Pour ces derniers, le mouvement vers un Internet durable est déjà à l’œuvre ! L’arrêt progressif du cuivre participe pleinement, en effet, de la mise en place de réseaux plus vertueux, tels que la fibre optique, qui émet 4 fois moins de GES que l’ADSL. Le recours aux réseaux câblés existants, en les modernisant, offre également des perspectives intéressantes. Quant à la 5G, elle aussi se révèle moins énergivore que la 4G pour les réseaux mobiles. 

Il n’en reste pas moins que la consommation totale d’électricité liée au numérique s’est accrue de 6 % par an entre 2016 et 20205

Autre point d’attention majeure : la construction des réseaux dans les règles de l’art, avec des dispositifs de protection permettant d’éviter tout risque de percement des conduites et donc de déperdition d’énergie. La mutualisation des infrastructures de génie civil et des parties terminales des réseaux d’accès constitue, elle aussi, un aspect crucial. 

Concernant les équipements, faute d’alternative à l’utilisation des métaux rares, l’enjeu porte sur leur recyclabilité et l’allongement de leur durée de vie. Dans ce domaine, les opérateurs ont encore des efforts à faire : seuls 2 % des téléphones qu’ils commercialisent en direct sont reconditionnés, contre 13 % de l’ensemble des mobiles vendus en France6. Quant au recyclage, les incitations en matière de collecte s’avèrent aujourd’hui insuffisantes ; plus de la moitié des terminaux hors d’usage sont ainsi conservés par leurs utilisateurs, au lieu d’être portés en déchetterie7.

Les initiatives les plus innovantes émanent-elles des grands opérateurs ou plutôt des indépendants ?

Des deux ! De toute part, fleurissent une multitude d’initiatives visant à rendre le numérique plus responsable : développement de gammes reconditionnées, mise en veille automatique des box, services de réparation en boutiques... Des acteurs de tous horizons sont de plus en plus nombreux à s’emparer de ces sujets. C’est le cas de structures issues du modèle coopératif et de l’économie circulaire, tels que les Ateliers du Bocage, entreprise d’insertion qui répare et vend des téléphones d’occasion. Mais, c’est aussi le cas d’opérateurs de 1er plan comme Orange, à travers son programme OSCAR de réemploi des équipements. Cet opérateur est, par ailleurs, à l’origine de la création de 2 datacenters « verts » extrêmement innovants, fonctionnant grâce à un système de « free-cooling » naturel, qui ne nécessitent pas le recours à la climatisation. 

Des initiatives qui vont encore se multiplier dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre aux attentes de leurs clients, en quête de pratiques écoresponsables, ou de s’adapter à un cadre juridique plus contraignant. Les acteurs du numérique accéléreront ainsi leurs efforts en matière de développement durable, embrayant le pas de la révolution verte ! 

 

Sources :

Impact Environnemental du numérique en 2030 et 2050, Arcep et Ademe, mars 2023

2 Baromètre du numérique de l'Arcep, 2019

Shift Project, Lean LCT, « Pour une sobriété numérique, 2018 – Étude Green IT, 2019

Étude Arcep et Ademe sur l’empreinte environnementale en France, 2022

Enquête Arcep du 25 avril 2022 « pour un numérique soutenable »

Recommerce – Kantar, Étude de marché annuelle, février 2021

7 53 % - Baromètre du numérique CREDOC 2021

 

Abréviations :

* Anti-Gaspillage et Pour une Économie Circulaire

** Loi REEN : Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique